Protéger les cultivateurs : la clé d’un coton responsable

Le coton, surnommé « l’or blanc », est l’un des principaux moteurs de l’économie rurale en Tanzanie, soutenant directement plus de 500 000 ménages. Mais si cette culture est essentielle pour des milliers de familles, elle cache une réalité préoccupante : un nombre alarmant de cultivateurs et de travailleurs agricoles sont victimes d’intoxications aux pesticides. Une récente étude publiée dans la revue Toxics, relayée par Pesticides Action Network (PAN UK), met en lumière les graves répercussions de l’usage de pesticides hautement toxiques. Ces révélations soulignent l’urgence d’agir pour aligner les chaînes d’approvisionnement de l’industrie textile sur des pratiques véritablement responsables.

Des cultivateurs en danger : des chiffres alarmants

D’après l’enquête menée auprès de 1 074 petits exploitants et travailleurs agricoles48 % des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert de symptômes d’intoxication aiguë aux pesticides au cours de l’année écoulée. Pourtant, seules 6 % des victimes ont consulté un professionnel de santé, ce qui laisse penser que les impacts réels sur la santé sont largement sous-estimés.

Ces intoxications, pourtant évitables, témoignent des dangers liés à l’utilisation continue de pesticides hautement dangereux (HHPs). Raphael John Mwezi, responsable de l’unité de toxicologie de l’Autorité tanzanienne de la santé des plantes et des pesticides, tire la sonnette d’alarme :

« Ces résultats montrent à quel point l’usage de pesticides dangereux affecte directement la santé des travailleurs. L’ampleur du problème nécessite une intervention rapide. »

Les coupables : des substances interdites ailleurs

L’étude identifie quatre substances actives responsables de 80 % des cas d’intoxication : profenofos, chlorpyrifos, lambda-cyhalothrine et cyperméthrine. Parmi elles, le profenofos, interdit dans plus de 30 pays en raison de sa toxicité, a été impliqué dans 252 cas, causant des symptômes graves tels que des difficultés respiratoires et des pertes de conscience. Le chlorpyrifos, également sous le feu des critiques internationales, est un autre produit phare de ce cocktail toxique.

Ces substances, bien que connues pour leur dangerosité, continuent d’être utilisées en Tanzanie, faute de réglementation stricte et de solutions alternatives accessibles aux petits exploitants.

Les femmes, victimes oubliées de l’exposition aux pesticides

L’exposition aux pesticides ne se limite pas aux personnes qui les pulvérisent directement. Les femmes, souvent chargées de tâches secondaires comme entrer dans des champs récemment traités ou laver des vêtements contaminés, sont particulièrement vulnérables. Cette exposition indirecte, combinée à l’accès limité à des équipements de protection individuelle (EPI) adaptés, aggrave leur situation.

Andrea Rother, professeure à l’Université du Cap, souligne les limites des solutions actuelles :

« Proposer des équipements de protection individuelle n’est pas une solution suffisante. Les contraintes climatiques et les réalités spécifiques aux femmes en Afrique rendent ces mesures peu efficaces pour prévenir les intoxications. »

Des solutions pour sauver des vies

Pour rompre ce cercle vicieux, les experts préconisent des changements immédiats et profonds :

  • Réformer les politiques agricoles : Une réglementation plus stricte est nécessaire pour interdire l’utilisation des pesticides les plus dangereux.
  • Renforcer la surveillance sanitaire : Des systèmes de suivi communautaire permettraient de mieux détecter et signaler les cas d’intoxication.
  • Promouvoir des alternatives durables : La transition vers des méthodes de gestion des nuisibles moins toxiques, comme celles utilisées dans la culture biologique, est indispensable.

La Tanzanie possède déjà un secteur de coton biologique en plein essor. Ce modèle montre qu’il est possible de produire du coton de manière à la fois rentable et respectueuse de la santé des travailleurs et de l’environnement.

Deodatus Kakoko, professeur à l’Université de Muhimbili, insiste sur l’urgence d’agir :

« Nous avons besoin de systèmes de surveillance réguliers pour identifier ces problèmes et y répondre efficacement. Cette étude montre que le statu quo est insoutenable. »

Un message pour l’industrie de la mode

Alors que l’industrie de la mode est de plus en plus interrogée sur son impact environnemental et social, ces découvertes rappellent un fait crucial : la durabilité dépasse la simple utilisation de matériaux écologiques. Elle englobe également la santé, la sécurité et la dignité des cultivateurs, sans qui cette matière première essentielle ne pourrait exister.

Pour garantir un coton véritablement responsable, l’industrie doit s’engager à soutenir des pratiques agricoles sûres et éthiques. Protéger les cultivateurs n’est pas seulement une question de morale, c’est aussi la clé d’un avenir durable pour l’ensemble du secteur textile.